La galerie Gora, art contemporain

Texte : Rémi Turgeon

2003


François Desnoyers

Peintures récentes

Entre le réalisme et l'abstraction flotte un lieu singulier et erratique qui est celui perçu à travers la lunette déformante de la vision subjective. L'oeuvre de François Desnoyers s'y retrouve. S'abreuvant à la source du subconscient, Desnoyers transforme les sujets les plus quotidiens et intimes en révélant ce qui se cache derrière leurs placides façades. Ce qui en résilte n'est pas toujours beau ou plaisant à voir dans le sens convenu de ces termes. Desnoyers opte plutôt pour la richesse des profondeurs, peu importe l'aspect que cela prendra. Son esthétique se revêt des apparats du morbide en exaltant et en magnifiant ce côté, confirmant le charme et l'attirance qu'il provoque sur nous. Ce qui fascine dans les images de Desnoyers, c'est la force brute qui s'en dégage. C'est tout le côté organique et cru de la matière éventrée qui se mélange aux interventions colorées, qui semblent s'incruster et se prolonger en elle. Le dessin de Desnoyers ressemble au parcours tortueux de veines et d'artères qui cherchent désespérément la source d'un sang capricieux et rare. À plus d'un titre, ce dessin, aussi nerveux que sûr de lui, rappel celui tout aussi tourmenté et obsessif d'Edward Munch. Mais le cri de Desnoyers n'a besoin d'aucune gueule ou bouche pour exprimer le pathos qui le hante. La seule oscillation de ce trait qui déroute, aglutiné à l'odeur sulfureuse de teintes d'ocre délavées, de sanguine rehaussée de textures vibrantes et de couleurs calcinées avant même d'avoir vu le jour, nous transportent aussitôt dans un gouffre aussi trouble que chaleureux.

Lorsque tout ce décor à demi décrépi se fusionne aux pores du bois ou de la toile, l'effet est saisissant. Quelque chose de très sensuel s'en dégage. En même temps qu'on les redoute, on a envie de toucher ces oeuvres. Un tyableau comme "Danse" éveil toute une dimension de la sexualité dans ce qu'elle a d'un peu perverse. Mais celle-ci semble nous libérer de nos inhibitions inavouées et dénouer le joug de ce qui demeure tabou en nous. La déformation du réel se présente comme la perception à jamais changeante d'un corps désiré, qu'on embrasse et empoigne et qui, sous l'insistance du pétrissage de nos mains enfiévéres, en veint à perdre sa forme initiale. Dans la danse du coït, il n'est plus que méandre des membres, transfiguration de la peau en couleurs et en saveurs, magma mobile qui emporte tout dans son sillage.

De même, on pourrait qualifier le travail de Desnoyers comme en étant un qui touche à une forme d'existentialisme. L'alliage entre la source de la vie et l'omniprésence de la mort fait qu'une certaine gravité en émane toujours. Dans un tableau comme "Maman", on peut voir très clairement cette dualité que l'artiste réussit à unir et qui provoque une énergie aussi violente que créatrice. Le titre du tableau commémore le point de départ de notre existence, mais sa factue en contredit l'appartenance. Plus que la mère charnelle, c'est la terre-mère qui est représentée. La terre qui, quoi qu'elle nous nourrisse et nous abreuve, finit toujours par nous accueillir dans son sein noir. La danse macabre qui peuble allégoriquement le reste de l'oeuvre de Desnoyers est comme la fête de ce déterminisme, de cette contradiction. Outre ce profil qu'englobe une grande partie des recherches de l'artiste, une certaine affinité avec l'école new-yorkaise se dénote, surtout par rapport à Jean-Michel Basquiat et Julian Schnabel par exemple, de même qu'avec certains artistes européens tels Mimmo Paladino et Walter Dahn. Le tableau "Fenêtre et boule de poussière" présente aussi une facture proche du graffiti et donc, une sorte de fragmentation qui semble hésiter entre le déroutement total et le message codé.

L'oeuvre de Desnoyers peut sembler dérangeante et provocatrice à plusieurs égards, mais son authenticité et ses qualités graphiques parlent d'elles-mêmes, toute idée bornée demeure impuissante face à son enchantement.